Migjen Basha a tout sacrifié pour réussir

Ce qui frappe chez Migjen Basha, au premier abord? Son extrême sympathie. Il arrive une minute en retard au rendez-vous? Il s’excuse gentiment et s’assure que tout aille bien pour son interlocuteur. Le Lausannois joue depuis trois saisons au Torino, club avec lequel il obtenu la montée en Serie A à l’été 2012, une année après avoir accompli la même performance avec l’Atalanta Bergame et où il s’est imposé comme un titulaire indiscutable au milieu de terrain. Pas une trace de vantardise ou de déconnection de la réalité chez lui, pourtant. Ses amis d’enfance? Ils sont les mêmes qu’il retrouve aujourd’hui, à l’image de Dalip Limani, entraîneur du FC Savigny-Forel (3e ligue).

Ses deux dernières étapes l’ont donc mené dans deux clubs prestigieux du football transalpin, où son intelligence de jeu et sa qualité de passe ont fait merveille. Toujours placé au cœur du jeu, il a disputé 24 rencontres lors la saison 2013-2014, en Serie A, tout en ayant été perturbé par une série de blessures.

Croisé à Lausanne avec une attelle à la jambe, l’élégant milieu de terrain de 28 ans ne sait pas exactement quand il va pouvoir retrouver les terrains, ce qui ne l’empêche pas de savourer sa réussite actuelle. Son parcours italien n’a en effet pas toujours été à la hauteur de ces quatre dernières années exceptionnelles. La Serie C, la Serie D, les galères financières: il a tout connu dans le milieu du football, les bons comme les mauvais moments. Et il nous le raconte ici.

Migjen Basha, on va remonter un peu le temps… Racontez-nous le moment où vous quittez le LS pour aller en troisième division italienne, il y a neuf ans de cela.

Gigi Simone, président de Lucchese, avait des actions à Lausanne. Un jour, je suis au Qatar avec l’équipe suisse M18, je devais avoir 17 ou 18 ans… et mon agent m’appelle, me dit que je vais recevoir un fax. Je vais au secrétariat, juste en dessous, et je reçois le contrat. Quand j’ai vu les chiffres dessus, je me suis dit: «Ok, on y va». Je ne m’étais pas du tout informé, rien. Je savais juste qu’ils jouaient en D3 italienne.

C’était risqué, non?

Oui, mais à 17 ans, quand vous voyez le montant inscrit… J’y suis allé pour l’argent, c’est tout. Je risquais quoi, au fond? J’allais continuer à jouer au football, et j’allais recevoir mon premier beau contrat. En plus, c’était l’Italie.

C’était un pays qui vous attirait particulièrement?

Oui, vraiment. Quand j’étais petit, j’étais fan de l’Inter! J’avais le calendrier dans ma chambre, tout… J’ai toujours admiré le championnat italien, je ne peux pas vraiment vous dire pourquoi. Sincèrement, j’en ai toujours rêvé.

Mais bon, vous déchantez un peu quand même au début…

Oui, il y a eu des moments de galère. Au début, on vous dit que vous pouvez manger gratuitement dans cinq ou six restaurants de la ville, que tout est réglé par le club. Mais très vite, non seulement on ne pouvait plus manger gratuitement, mais surtout, les salaires n’étaient plus versés.

Là, vous avez regretté votre choix?

Jamais. Je n’avais pas du tout cet état d’esprit-là. Je voyais ça comme un coup dur, mais aussi comme une chance d’aller ailleurs. Je suis parti en quatrième division, j’ai cravaché, j’ai fait des sacrifices. Mais hey, c’est ça la vie d’un footballeur, mon ami!

Pas de tous…

Bien sûr, il y a des superstars qui arrivent en haut direct. Ok, il y a Messi. Mais Gattuso, les autres? Le 80% des joueurs, on est là parce qu’on a fait des sacrifices, parce qu’on a tout consacré au football. Il est là, l’exemple à suivre pour un gamin. La réalité, elle est là! Aujourd’hui, je suis un milieu de terrain du Torino. Je suis heureux à chaque instant de ma vie. Mais quand j’ai un instant, je me pose et je repense à ces moments en quatrième division, où tu n’es pas payé, mais où tu vas t’entraîner et où tu te défonces sur le terrain. Alors, je peux le dire haut et fort: non, je ne regrette pas mon choix d’être parti de Lausanne. J’ai galéré, j’ai gravi les échelons. J’ai eu un parcours de footballeur, tout simplement.

Qu’est-ce qui a fait la différence?

Comment ça?

Vous partez de Lausanne pour Lucchese avec Julien Chammartin. Aujourd’hui, vous êtes titulaire au Torino et lui… sincèrement, on ne sait même pas.

Julien, c’était un super attaquant, un bon gars. Mais ce qui a fait la différence, c’est la tronche! Lui, il avait une copine, ça lui manquait… La situation lui pesait. Bon, moi aussi, j’avais une copine, mais je savais très bien où était ma priorité. Le football, mon ami, le football! Je n’ai jamais baissé les bras, même quand j’ai passé six mois en quatrième division. Jamais.

Aujourd’hui, quand vous arrivez à San Siro, puisque vous disiez être supporter de l’Inter, il y a des moments où vous êtes pris par l’émotion, où vous oubliez que c’est votre métier d’être là?

Oui, franchement ça arrive. Enfin, surtout la première fois pour être honnête. Là, il y a des émotions fortes qui s’invitent, et on redevient pendant un petit instant le gamin qui rêvait de ça. Pendant quelques secondes, tu te déconcentres totalement… Tu te dis: «Mais c’est réel, tout ça?» Après, bon, avec l’habitude, ça se calme un peu. Heureusement, d’ailleurs!

Quand vous jouez, vous entendez les supporters?

Non, pas du tout. Vraiment, moi je n’entends plus rien. Je suis totalement concentré sur ce que j’ai à faire.

Quel est votre rituel de concentration?

Je n’en ai pas vraiment… Dans le bus, je m’isole, j’écoute de la musique albanaise, j’entre dans mon match. Après, dans le vestiaire, j’ai mes trucs comme tout le monde, mais rien de bien spécial.

L’Italie, c’est toujours aussi poussé au niveau tactique?

Ah, ça oui! Pour vous dire, au Toro, on fait quatre ou cinq réunions vidéos par semaine, basées sur l’adversaire. Nous, notre jeu, c’est de faire tourner, de trouver de l’espace. Alors, à la vidéo, on essaie de voir où sont les espaces, justement. L’entraîneur insiste à fond là-dessus. Du coup, on multiplie les passes à deux mètres pour chercher des décalages. On est vraiment pilotés.

A ce point-là?

Ah oui, oui, vraiment. Des fois, je suis tellement dans mon truc, je sais tellement précisément ce que j’ai à faire dans telle ou telle situation que j’ai l’impression d’être télécommandé par le banc de touche (rires)! Mais ça marche. On voit les résultats, ils sont bons, donc on se dit qu’on est dans le juste.

Parce que vous avez de bons joueurs aussi… A ce sujet, vous allez pouvoir gérer le départ de Ciro Immobile au Borussia Dortmund?

Ciro était notre buteur, c’est un garçon qui part beaucoup en profondeur. Il fait l’appel au bon moment, il a de grandes qualités à ce niveau-là. Bien sûr qu’il va falloir le remplacer, mais je ne me fais pas trop de soucis. Notre force est collective, comme vous l’avez compris. Et attention, on a de gros joueurs! Alessio Cerci, quand vous voyez la qualité qu’il a…. On se comprend bien, le timing est bon entre nous. Et il y a Matteo Darmian, qui est en équipe nationale italienne, on est arrivés ensemble à Turin. On a une très bonne relation les deux.

Le Toro, c’est quand même un club à part en Italie au niveau de l’amour des tifosi, non?

Oui, complètement. Le jour de la montée, on devait faire le tour de la ville, ça  nous a pris quatre ou cinq heures. De la folie.  Et le club en lui-même, le centre sportif, le public… C’est la classe.

Les gens sont sympas dans la rue ou, au quotidien, la ferveur est pesante pour un footballeur du Torino?

Ils t’arrêtent tous, bien sûr. En général, ils sont sympas. Très sympas, même. Je ne vais quand même pas me plaindre d’être reconnu! De temps en temps, un supporter en noir et blanc te crie «Forza Juve», mais ça reste tranquille (rires). Après, c’est parce qu’on a de bons résultats, je ne suis pas naïf. On a fait la montée, on joue l’Europe cette saison… Quand ils n’arrivaient pas à jouer les premiers rôles en Serie B, c’était un peu plus chaud.

Elle a été magnifique, cette saison 2013-2014!

On n’a perdu que contre les grands. Donc oui, on se dit que c’est pas mal, mais on peut, sans être arrogant, espérer un petit peu plus…

Et la préparation physique, en Italie, c’est quelque chose?

J’en ai déjà fait neuf, je commence à connaître. Mais à chaque fois j’oublie à quel point c’était dur, je vous promets! A 7h, tous les jours, on se pèse. Ensuite, petit déjeuner et entraînement physique. Ensuite, repas de midi, un peu de repos et entraînement. Le soir, tu ne peux plus marcher. Et tout ça pendant six semaines!

Du coup, vous êtes heureux d’être blessé, là?

Ah non, pas du tout. Justement, j’aime bien anticiper la préparation. En fait, j’aime bien arriver déjà affûté, sinon c’est trop dur. Je passe donc une partie de l’été au CAS, à Lausanne. Je fais déjà le fond. J’ai besoin de ça, j’aime travailler physiquement. Là, quand je vais revenir, je serai en retard sur tout le monde. Je vais donc devoir tout rattraper, tout en essayant de gagner ma place. Non, clairement, ce n’est pas la bonne manière de débuter une saison.

Vous avez décidé de jouer pour l’équipe nationale d’Albanie, c’était un vrai objectif?

J’y suis depuis une année et demi. C’est un rêve, c’est magnifique. J’ai toujours voulu porter ce maillot. Mais j’aime la Suisse, attention. Ca a été un crève-cœur pour moi de ne pas jouer les matches de qualification pour la Coupe du Monde entre mes deux pays. J’ai choisi l’Albanie, c’est vrai, mais je suis un Lausannois, fier d’avoir grandi en Suisse.

Et jouer pour le Kosovo, qui a maintenant une équipe nationale?

Pour l’instant, ils ne font que des matches amicaux. Ils sont reconnus par la FIFA, mais là, je ne peux pas vous dire que je vais y aller demain. Ils m’ont appelé, j’ai répondu. Mais ce n’est pas d’actualité aujourd’hui, c’est tout ce que je peux dire.

Vous aimez revenir en Suisse, chez vous, dans les hauts de Lausanne?

Quand je reviens à Entrebois, c’est magnifique. Dans mon immeuble, la plupart des gens ont Teleclub, ils me suivent, savent qui je suis. A chaque fois, il y a le même voisin qui me crie dans l’escalier «Forza Torino»! J’aime bien revenir ici, ce sont mes racines, je m’y sens bien.

Ce besoin de reconnaissance, il est réel?

Ah non, non, pas du tout! C’est juste que je trouve sympa ces moments-là.

Mais on a l’impression que vous n’êtes pas forcément reconnu à votre juste valeur ici? On parle énormément des joueurs de Naples, d’autres, mais pas forcément de vous…

Alors ça, je vais vous le dire: ça ne m’intéresse absolument pas. Je pense à faire ma vie, c’est tout. Qu’on parle, Basha ci, Basha ça… Cela me passe au-dessus, mais à des kilomètres! Mon rêve de jeune, c’était d’être footballeur, pas dans les journaux. Je réponds volontiers aux sollicitations, mais je ne demande rien.

Mais tout de même, la médiatisation fait partie de votre travail…

Oui, justement, c’est ce que je vous dis, je suis professionnel. Donc quand un journal m’appelle, quand il y a une apparition publique à faire, je la fais volontiers. Mais moi, tout ce qui m’importe, c’est qu’à la fin de ma carrière, je puisse être fier de ce que j’ai fait. Si j’ai un besoin de reconnaissance, comme vous dites, c’est par rapport à ma famille. Là, oui, j’ai envie qu’ils soient fiers de moi, bien sûr.  Le monde du foot, on t’oublie tellement vite… A part si vous êtes Messi, qui se rappelle de vous dix ans après votre carrière? Personne, excepté ta famille.

Rester dans le monde du football après votre carrière de joueur, ça vous tente?

Sincèrement, je n’y pense pas. Comme vous l’avez compris, je n’ai pas de plan de carrière pré-défini. Ce n’est pas comme ça que je fonctionne. Mais je peux imaginer être motivé par une carrière d’entraîneur. Pourquoi pas? Partir depuis la Suisse et gravir les échelons… Mais bon, c’est très très loin tout ça.

Revenir en Suisse pour jouer, c’est une possibiliité?

Un club suisse m’a contacté ce printemps. Un bon club, qui me proposait un bon contrat, longue durée… J’ai vraiment hésité, je me suis dit que ce serait un bon challenge. Et puis, je me suis blessé le jour suivant, ou très peu après. Voilà, c’est comme ça. Dans le foot, on ne sait jamais. Peut-être qu’ils vont revenir vers moi cette année, peut-être pas… J’ai encore une année de contrat, ce qui signifie que je serai libre au mois de janvier. Mais ça ne me fait pas peur, au contraire. Ca ne m’a jamais fait peur de ne pas savoir où je serai dans six mois.

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