En allant regarder un match de 4e ligue, on peut s’attendre à tout, y compris à croiser d’excellents joueurs. Cela peut être d’anciennes gloires du football régional, voire suisse, qui n’ont pas forcément envie d’aller jouer avec les vétérans. Cela peut être aussi un vrai talent, qui n’a pas le temps de s’entraîner trois fois par semaine, ou pas l’envie, et qui renonce à jouer plus haut, par choix. Et puis, il y a le jeune ambitieux, qui se retrouve là un peu par hasard, en souhaitant plus que tout retrouver le chemin qui mène au haut niveau. Benny Liambi Motuta, gardien de but de 18 ans, fait partie de cette catégorie. Et autant le dire tout de suite: son talent saute aux yeux.
Son entraîneur Stéphane Gerzner: « Il n’a rien à faire à ce niveau »
Stéphane Gerzner, son entraîneur à Villeneuve, sait qu’il tient un phénomène, mais ne va rien faire pour le retenir: « Je serais malhonnête! Il est venu chez nous pour se relancer, mais il n’a rien à faire à ce niveau. Cela va me rendre triste cet été quand il va partir, mais c’est normal qu’il le fasse. Il a un talent fou, et c’est un très bon garçon. » Grâce à ses parades, Villeneuve, néo-promu en 4e ligue, peut toujours espérer les finales de promotion. Tant ses coéquipiers que ses adversaires l’encouragent à aller voir plus haut, à reprendre le fil d’une carrière interrompue. Et lui, l’espère-t-il toujours? Le regard est direct, la réponse fuse: « Bien sûr. J’y crois, et j’ai la volonté pour y arriver. Depuis le début, je travaille plus que les autres. Quand les copains rentraient à la maison ou allaient à la piscine, moi j’allais au stade pour faire du gainage ou m’entraîner. Je n’ai pas peur de me faire mal. »
Deux grandes déceptions dans sa carrière
Le jeune homme a une volonté de fer, et a déjà connu des difficultés dans sa jeune carrière, qui n’a pas encore vraiment débuté. « Il y a deux choses qui m’ont déçu. Deux moments-clés dans ma vie. » Benny parle bien, choisit ses mots, s’exprime calmement. Mais dit les choses comme elles sont. « La première fois que j’ai été déçu, c’est quand je n’ai pas été pris pour le centre de préformation à Payerne. J’étais à Team Vaud, j’y croyais. J’étais parmi les meilleurs, on m’a fait comprendre que c’était bon. » Et? « Et plus rien. Là, j’ai été touché, mais je n’ai pas renoncé ». Plutôt que de continuer dans la filière Team Vaud, il a décidé d’en sortir. Direction Attalens, en 3e ligue fribourgeoise, pour celui qui a grandi et vécu à Vevey, pas loin. Et là? « La deuxième déception. Nicolas Geiger était le président. Il m’a fait venir, et j’ai pensé que c’était une bonne chose. J’avais 16 ans, j’allais me frotter au monde des adultes, durcir mon jeu. A Team Vaud, je sentais que c’était le moment de partir, et je ne le regrette pas. J’ai progressé à Attalens. »
Un caractère qui lui a permis de surmonter les épreuves
Alors, pourquoi une déception? « Parce que ce monsieur parlait trop. Il m’a promis l’étranger, des grands clubs. Et moi, forcément, je l’écoutais. Je me suis mis à rêver, mais je savais qu’il fallait travailler pour pouvoir y croire vraiment. Alors, j’ai redoublé d’efforts. Mais rien ne venait. Il m’a dit qu’il avait tout arrangé avec Nottingham Forrest. Quand même! Je sais que c’est un grand club, qui a gagné deux fois la Coupe d’Europe. Et alors? Rien. C’était du vent. Tout d’un coup, il a disparu, il est parti d’Attalens, aucune nouvelle. Il m’a appelé il y a deux semaines, tiens, pour me demander où j’étais, et ce que je faisais. C’est tout ». Quand on demande au jeune homme s’il souhaite vraiment dire tout ça, que ces critiques fortes à l’encontre d’un nom du football suisse pourraient être contre-productives, il se montre ferme: « Non, écrivez-le. Il n’a pas été correct avec moi. Ce n’est pas parce que je suis jeune que je ne comprends pas les choses. »
Arrivé du Congo à l’âge d’un an, il a fait ses classes à Vevey
C’est clair, Benny Motuta est un garçon mature. Arrivé du Congo à Vevey à l’âge d’un an, il n’y est encore jamais retourné, mais sait d’où viennent ses racines, et reconnaît les gens qui lui veulent du bien. « Je dois beaucoup à Renato Di Stefano, qui m’a entraîné à Vevey. C’est quelqu’un que je respecte énormément. Il n’a jamais cherché à m’enfumer. Il m’a dit que j’avais des qualités, mais aussi des défauts à travailler. J’avais des soucis d’appuis. Enfin, pas des soucis, mais des choses à corriger. Etre moins souvent en action, prêt à bondir, mais se concentrer sur le moment où il faut vraiment être prêt à intervenir. Avec lui, j’ai progressé. » Benny a commencé le football à Vevey, puis a intégré Team Vaud Riviera, toujours à Vevey. Ses qualités techniques et de vivacité l’ont vite fait repérer, mais il a encore aujourd’hui un défaut, qu’il ne pourra pas corriger.
Son modèle? Le Brésilien Dida
« Vous allez me parler de ma taille, c’est ça? Mais je ne suis pas petit. Et je suis désolé, mais ce n’est pas un défaut. Il y a des gardiens plus grands que moi, mais il y a des manières de compenser. » Sa manière à lui, c’est un très bon jeu au pied, une détente intéressante et une technique au dessus de la moyenne. En 4e ligue, il évolue ainsi quasiment comme libéro, sans aucun problème. Une manière comme une autre de ne pas s’embêter dans des matches de 4e ligue qui ne sont clairement pas de son niveau. Au fait, un gardien de but d’origine congolaise, de taille moyenne… Son modèle ne serait-il pas Steve Mandanda, le n°1 de l’Olympique de Marseille? Il rigole: « Je devrais l’admirer, vous avez raison! Je l’aime bien, mais je trouve qu’il manque un peu de technique pour en faire un modèle. Moi, celui que j’admire et auquel je m’identifie depuis longtemps, c’est Dida. En 2003, quand il arrête les tirs aux buts contre la Juventus, j’en ai pleuré de joie! »
Les clubs de niveau supérieur sont à l’affût
En 2003, Benny Motuta avait 7 ans, et déjà des rêves plein la tête. Il a suivi une partie de son parcours, a pris quelques détours, mais n’a pas fini de faire parler de lui. Et on ne veut plus jamais entendre que la jeune génération n’a pas de valeurs. Une preuve? A la fin de l’entretien, lorsqu’on lui demande s’il a des pistes sérieuses pour cet été, le gymnasien nous dit qu’il est en contact avec des clubs de 1re ligue Classic et qu’un club de ce niveau l’a même contacté pour le prendre immédiatement pour ce 2e tour. « Je n’ai même pas eu besoin de réfléchir, puisque j’avais ma donné ma parole à Villeneuve pour finir la saison. Quand on s’engage avec quelqu’un, il faut assumer. J’aurais dit quoi à mon entraîneur, qui m’a proposé de le rejoindre cet été? Que j’étais un homme sans parole? Que Villeneuve joue la promotion ou non, ça ne change rien pour moi, on doit respecter le lieu où on se trouve et les gens en face de nous. »
On reste scotché cinq secondes, et on décide d’appeler le directeur sportif du club en question, qui nous confirme ce que l’on venait d’entendre: « Oui, c’est vrai. Il nous intéresse, et on le suit. Mais il a coupé court aux discussions cet hiver, pour tenir sa parole. » Et on repense alors aux propos de son entraîneur Stéphane Gerzner: « C’est un très bon garçon ». Plutôt, oui. Et on est prêt à parier que ça va payer.