Daniel Puce a joué quinze ans au plus haut niveau, et a connu ses plus belles années au LS, de 1997 à 2002. Comment oublier un défenseur central titulaire lors de trois finales de Coupe de Suisse consécutives? Il l’a été en 98 (victoire face à Saint-Gall), 99 (victoire face à GC) et 2000 (défaite face au FCZ), marquant même son tir au but en 98. Daniel Puce a clairement sa place dans le grand livre retraçant l’histoire du LS, et tous les supporters du club de La Pontaise gardent de lui le souvenir d’un défenseur impassable, mais aussi très adroit à la relance. Un joueur complet, très apprécié du public, et qui est toujours resté humble. Un fait marquant? Lors des trois finales de Coupe, il a, à chaque fois, été aligné aux côtés d’un défenseur central différent: l’Arménien Vardanian en 98, Oscar Londono en 99 et Sven Christ en 2000. Lui est toujours resté fidèle au poste, gagnant ses duels face à chaque attaquant lancé en face de lui.
Aujourd’hui responsable de l’agence lausannoise d’un bureau de placement, il se montre disponible malgré la longueur de ses journées, et nous a accordé une longue interview, évoquant notamment son passage en Chine, après ses aventures lausannoises, sa blessure, et le plaisir d’entraîner aujourd’hui le FC Lutry, où il est arrivé en 2007. Entretien avec un grand joueur et un homme très sympathique, tout en humilité. Pas question de se mettre en avant pour lui, mais la politesse de répondre à chaque question est bien là. Aujourd’hui âgé de 43 ans, il est toujours parfaitement affûté physiquement. Il le faut, puisque ses journées peuvent commencer bien avant le lever du soleil, et ne se terminer que pour aller à l’entraînement le soir.
Daniel Puce, vous vous levez vraiment à 4h30?
Oui, ça arrive, lorsqu’on amène les candidats sur les chantiers, pour leur premier jour. C’est ça la vraie vie, vous savez!
Si on vous avait dit quand vous étiez footballeur professionnel que les journées commençaient à cette heure-là…
Alors ça, c’est sûr que je n’y aurais pas cru (rires)! Enfin, oui, ça a pu m’arriver de me lever à cette heure-là, mais c’était pour partir en vacances!
Jouez-vous toujours un peu?
Oui, j’aime bien mettre mes crampons à l’entraînement, pour expliquer un peu aux jeunes comment ça joue!
Ils connaissent votre carrière? Ils savent quel joueur vous avez été?
Oui, oui, je crois, mais ce n’est pas moi qui vais leur en parler. Après, je crois que je peux encore leur montrer quelques petites choses, mais je fais gaffe, parce qu’à 18 ans, il y en a quand même qui vont un petit peu plus vite que moi aujourd’hui (sourire).
Vous n’étiez pas le plus rapide, mais vous étiez réputé pour être un défenseur central très élégant. Solide et dur sur l’homme, mais très à l’aise avec le ballon. Vous confirmez?
C’est ce qu’on dit oui, mais de nouveau, ne comptez pas sur moi pour me faire des compliments (rires).
L’équipe nationale, vous y avez pensé? Vous n’en avez pas été loin, à une époque…
Oui, il y a eu des contacts, lorsqu’Enzo Trossero était sélectionneur, au début des années 2000. Mais je n’avais que le passeport italien à l’époque. Aujourd’hui, j’ai la nationalité suisse, mais à l’époque, non. Bon, si vraiment il y avait eu un intérêt très fort, j’aurais fait les démarches.
Vous l’auriez mérité, non? Vous étiez en pleine forme à cette époque avec le LS!
Si je n’y suis pas allé, c’est que je ne l’ai pas mérité. C’est comme ça que je vois les choses dans le football. Pas vous?
Vous avez été l’un des premiers européens à partir jouer en Chine, bien avant que cela ne devienne une destination « à la mode ». Parlez-nous de cette aventure! Comment passe-t-on du LS à l’Empire du Milieu?
Alors ça! Je passe par hasard devant un café, lorsque je croise un agent que je connais, attablé avec un homme. L’agent me fait signe de venir, on se salue, et il me propose de m’asseoir juste pour un moment. Et j’ai bien vu que le Chinois se montrait intéressé par moi. Enfin, surtout par ma carrure! J’étais bien en forme à l’époque, et il n’a pas arrêté de demander des infos sur moi. Après quelques minutes, il me demande si je veux venir jouer en Chine. Je lui réponds en rigolant: « Je signe où? » Mais il m’a pris au mot et il a envoyé des émissaires me visionner.
Et alors?
Et alors, c’était la belle époque, on joue la Coupe UEFA pour la deuxième année de suite. On élimine le Torpedo Moscou, l’Ajax Amsterdam et on tombe contre le FC Nantes. J’avais 30 ans, j’étais au top, donc je crois que je les ai impressionné. J’ai reçu une proposition de contrat de Dalian, le grand club chinois de l’époque. Tout était bon pour moi, mais le LS a demandé une trop grosse somme pour le transfert. Bon, j’avais encore 1,5 année de contrat, c’est comme ça.
Vous avez donc dû patienter…
Oui, on avait prévu de se revoir une année après, lorsqu’il ne me restait plus que six mois de contrat. Et là, ça a joué, mais plus avec Dalian. J’ai signé à Shanghaï en janvier 2002.
Et là, on imagine que c’était la folie!
Ah oui, Shanghaï, c’est New York, mais en Asie. Une ville incroyable, coupée en deux. Il y a Puxi et Pudong. Puxi, c’est le « vieux » Shanghaï, et Pudong, le quartier des affaires, qui prospère à vitesse grand V. Pour me rendre de de l’un à l’autre, je passais sous le fleuve, le Pu. J’habitais à Pudong.
Avec un chauffeur, pour pouvoir conduire?
Non, non, je faisais tout en taxi. J’habitais dans un immeuble avec les trois autres étrangers du club. Il y avait un Sénégalais, un Nigérian et un Brésilien. Notre building faisait 36 étages…
Avec un contrat longue durée?
Oui. En fait, j’avais signé pour un an, plus quatre ans avec option. A l’époque, l’entraîneur était Claude Leroy. Normalement, les joueurs qui allaient en Chine sans être des méga-stars devaient passer par des tests très compliqués. Mais je n’ai pas eu besoin de les faire. Claude Leroy m’avait vu jouer contre Nantes et a dit aux dirigeants que c’était bon, que je pouvais passer tout droit. Du coup, j’ai signé.
Un beau contrat?
Oui, mais je me suis blessé après quelques mois, en mai… Bien avant d’activer la prolongation de trois ans. En fait, mon tendon s’est sectionné. Une blessure qui datait de Lausanne. Et je suis rentré me faire opérer en Suisse.
Les hôpitaux chinois, non?
Non, vraiment pas! J’y suis allé pour passer les radios et les IRM, mais j’ai demandé à rentrer en Suisse. Je ne sais pas comme c’est aujourd’hui, mais il y a dix ans, c’était clairement impossible pour moi de me faire opérer là-bas. En arrivant dans l’entrée, il y a tous les gens qui attendaient, sans que personne ne s’occupe d’eux, avec les bandages qui dégoulinaient de sang… L’hallucination totale.
Et du coup, voyage retour en Suisse, et pas de sentiment: contrat terminé!
Ah oui, là, il n’y avait pas de cadeau à attendre.
Et là?
Les spécialistes m’ont dit que j’en avais pour deux ans sans toucher un ballon… Le vrai coup dur. A 32 ans, deux ans sans foot, ça veut dire quelque chose, hein. J’ai ensuite pu rejouer, mais seulement dans les ligues amateurs. Malley, Dardania, Epalinges…
Ce monde vous a plu? Il était nouveau pour vous!
J’étais content de rejouer au football, déjà. Mais je suis heureux d’avoir trouvé Lutry, un club où je me sens vraiment bien.
Racontez-nous votre arrivée…
En fait, je n’ai fait que trois mois dans mon club précédent, le FC Epalinges. Je suis parti de là-bas en ayant pris cinq matches de suspension! Vous savez comment c’est… Après tant d’années en LNA, on se fait allumer. Parfois c’est sympa, d’autres moins. Et on est des êtres humains! Franchement, les adversaires te narguent un peu, et même les arbitres, en tout cas à l’époque. Je ne suis pas une machine, donc j’ai réagi, en parlant mal à un arbitre. Il n’y a rien eu de physique, mais j’ai pris cinq matches.
Ce qui ne nous explique pas comment vous arrivez à Lutry!
J’assistais au match de finale entre Le Mont et Montreux, en 2e ligue. C’était en 2007, je crois. Et là, Jean-Daniel Perroset, qui était entraîneur, vient me parler. Il commence à m’expliquer qu’il aimerait bien m’avoir dans son équipe. Je l’arrête tout de suite: « Non, j’ai raccroché, c’est exclu. » J’étais sincère, je ne voulais plus entendre parler de foot. Bon, il me convainct de venir au 100e anniversaire du club pour discuter un peu. Et là, bon, on a conclu. Mais j’avais posé une condition, celle d’entraîner des juniors, pour préparer mon papier. Je suis donc venu comme joueur de la 1re équipe et entraîneur des jeunes.
Et vous n’avez pas bougé depuis six ans!
Oui, je me suis lié d’amitié avec certaines personnes. Olivier Coste, mon assistant de l’époque avec les juniors, est président de la Confrérie du Singe d’Or, qui soutient le FC Lutry. C’est devenu un ami. Mais il n’y a pas que lui, il y a bien sûr le président Patrick Marguerat, et tout le comité. C’est un club sain, un club familial, qui me convient très bien, avec de belles infrastructures. Je travaille avec les jeunes, et j’aime beaucoup.
Voir se relancer et progresser un jeune comme Benoît Tabin, c’est une fierté?
Oui. Mais il n’est pas le seul. Nous avons des joueurs de 18 ou 19 ans qui sont titulaires aujourd’hui. Dardan Saciri, Lirim Hasani, ce sont de vrais joueurs de 2e ligue inter.
Vous avez quand même quelques joueurs d’expérience… On pense à Lorenzo Bonnano, votre capitaine, à Mourad Boutafenouchet, Geoffrey Cadet ou à Wilfrid Loizeau…
Oui, bien sûr, il en faut, et il y a tout ceux que vous n’avez pas cité et qui sont importants aussi. Pouvoir s’appuyer sur une colonne vertébrale, c’est indispensable. Alors oui, bien sûr, certains jeunes prometteurs sont barrés par ces éléments-là. Mais c’est un choix assumé, et je crois qu’il est justifié.
Les jeunes qui sortent de votre mouvement juniors sont-ils au niveau de la 2e inter?
Le but, c’est qu’ils le soient de plus en plus. Je ne vais pas vous cacher que le saut est haut aujourd’hui. Il y a un grand fossé entre une équipe de 2e inter et nos juniors A, même ceux qui ont joué en Coca-Cola League. On aimerait les intégrer plus vite, et il y en a un, en particulier, auquel je pense et que l’on va pouvoir faire jouer dès ce 2e tour. Mais c’est un seuil critique.
Comment faire pour que ce fossé soit moins grand?
Alors ça… Bon, je trouve que l’on travaille de mieux en mieux avec nos juniors. On progresse. Rien que la coordination… Comment voulez-vous faire un contrôle si vous n’êtes pas maître de votre corps? Pas de coordination, pas de contrôle. Bon, après, il faut avoir du talent à la base, c’est sûr. Mais je vous rassure, il y a de la relève à Lutry, et on risque de la voir arriver dans quelques années.
Seriez-vous prêt à travailler avec Team Vaud?
Je suis prêt à tout. Mais il faut déjà qu’on me le demande. Personne ne m’a jamais posé la question.
Une personne avec laquelle vous travaillez étroitement est Alain Flückiger, votre assistant…
Alain, lui aussi, est devenu un ami. On est complémentaires, et il y a un grand respect entre nous. C’est quelque chose que l’on essaie d’inculquer aux jeunes, le respect. Ils voient qu’il y en a entre nous, ils sont donc priés de le reproduire. C’est mon assistant depuis cinq ans aujourd’hui, c’est que ça doit jour (rires). Mais je suis quelqu’un d’impulsif, et c’est mon rôle d’entraîneur d’élever parfois le ton. Je dois faire passer mon message. Alain, il est là aussi pour arrondir les angles, et il le fait très bien. Il va discuter individuellement avec les joueurs, ce que je fais moins. Lui, il est plus calme. Moi, je suis le feu (sourire).
Vous vous êtes calmé avec les années… On a un souvenir d’un Daniel Puce plus excité sur le banc il y a quelques saisons!
Oui, c’est vrai, je suis moins impulsif, je me canalise un peu. On va dire que c’est l’âge!
Mais on imagine qu’un entraîneur comme vous, avec votre passé, votre réseau et vos compétences, pourrait trouver un club plus haut, non? Pourquoi ne franchissez-vous pas le pas?
Ce serait trop facile (rires)! Sans aucune prétention, bien sûr que je pourrais postuler pour un club de catégorie supérieure, avec plus de moyens. Mais ce n’est pas ma politique. J’aime l’idée de travailler avec moins d’argent, mais de progresser avec de jeunes joueurs, de les former. D’autres pensent différemment, mais je pense ainsi. Et puis, je suis très bien là, pourquoi changer?
Pour aller plus haut, pour changer d’air, pour vivre une autre expérience dans un autre contexte, pour vous rapprocher du niveau auquel vous jouiez…
Mais pourquoi? Si je me sens bien par rapport à ce que je fais et à ce que je vis à Lutry, je devrais changer, juste pour le plaisir? Je suis quelqu’un de fidèle. Je l’étais comme joueur, je le suis comme entraîneur. Et puis, j’ai l’impression de ne pas avoir fini mon travail ici.
Ce qui veut dire?
Monter en 1re ligue Classic. Et pourquoi pas?
Pour cette année, c’est un peu tard…
Vous en êtes sûr?
Vu le classement, oui, on en est plutôt sûr!
Pas moi. Je vais vous raconter une anecdote…
On vous écoute!
Je vous ai dit tout à l’heure que j’avais repris une équipe de juniors en arrivant à Lutry. Il s’agissait des B. Lorsque je suis arrivé, j’ai observé l’équipe et je me suis dit: « Bon, Daniel, y a du boulot! ». Sincèrement, il fallait tout reprendre. Peut-être pas à zéro, mais presque. Mais j’ai dit aux gars: « Dans deux ans, on va gagner quelque chose. » Ca pouvait être le championnat, la Coupe vaudoise, n’importe quoi. Gagner quelque chose, c’est tout. Et deux ans après, on gagnait la Coupe vaudoise.
Bon.
Et après, quand je reprends la première équipe, en 2e ligue régionale, j’annonce qu’on va monter dans les deux ans.
Et deux ans après, vous montez effectivement en 2e ligue inter, après de belles finales face à Prilly.
Exactement. On est le jour des finales, c’est la fête à Lutry, il y a des stands partout, et je dis à Eric Ceppi, le président des juniors, qu’on serait en 1re ligue dans les trois ans. On est montés en juin 2011, on va dire qu’il me reste dix-huit mois!
On semble se diriger vers une lutte à trois dans ce groupe, avec La Chaux-de-Fonds, Team Vaud M21 et La Sarraz-Eclépens. Pensez-vous qu’une des trois équipes va se détacher?
Et le FC Lutry, alors, vous le mettez où? Bon, si je me fie à ce que j’ai vu contre nous, je dirais que La Chaux-de-Fonds ne m’a pas impressionné, même si j’en avais entendu beaucoup de bien. Lausanne, ça dépend. S’ils alignent cinq joueurs de la Une, comme contre nous… Forcément que des joueurs de Super League doivent faire la différence en 2e ligue inter! Sinon, cela veut dire qu’il y a un sérieux problème au LS! Et La Sarraz, oui, « Charly » Karlen peut y arriver. Et il faut dire qu’il a une sacrée belle équipe aussi.
Et le deuxième tour de Lutry, comment se présente-t-il?
Allez, je vous le dis: on va finir 4e, juste derrière le trio dont nous venons de parler. Voilà, merci, avec votre article, je viens de nous mettre la pression (rires).