Florent Sinama-Pongolle, un homme qui marche à l’affectif

Attablé dans un établissement du centre de Lausanne, Florent Sinama-Pongolle regarde sur grand écran son ancien club de l’Atletico Madrid éliminer le Real en Coupe du Roi. Qui aurait pu penser que ce joueur, passé notamment par Liverpool et l’Atletico Madrid, se retrouve un jour tout près de s’engager avec un club de deuxième division helvétique? Face à lui se trouve son ami Wilfrid Loizeau, ancien camarade du centre de formation du Havre. Moment d’émotion, car les deux hommes ne se sont pas vus depuis… quinze ans! « On était en contact par Whats’app et Facebook, mais on n’avait jamais réussi à se croiser », rigole Wilfrid. Les deux footballeurs ont vécu des moments forts dans le nord de la France, de ceux qui marquent toute une vie. Leur trajectoire a été différente, bien sûr. Fulgurante vers les sommets pour le Réunionnais, qui a quitté Le Havre pour Liverpool à 19 ans et plus modeste pour le Guadeloupéen, bien connu de nos lecteurs pour ses passages à Bavois, Yverdon et Lutry, notamment.

« Dès le début, j’ai su que Flo allait réussir. Ca se voyait aux détails, à l’envie, à son dévouement pour le foot. En ce qui me concerne, j’ai fait le mauvais choix dès le début en allant au Havre, alors que d’autres clubs me voulaient. Le problème, là-bas, c’est qu’ils ne forment que des grands gabarits, des mecs imposants. Moi j’étais le plus petit et je n’ai jamais été vraiment considéré », explique Loizeau. En face, Florent Sinama-Pongolle confirme: « Tu as eu le même problème que Mathieu Valbuena. La seule différence, c’est que lui a eu une chance de rebondir après et l’a saisie. Dans les centres de formation, la sélection peut parfois se jouer à un rien. »

Retrouvailles étonnantes, donc, entre un vainqueur de Champions League et un joueur d’Azzurri Riviera, que, rien, finalement, ne sépare. Entre deux buts de Fernando Torres sur le grand écran, Florent Sinama-Pongolle a accepté de revenir, pour nous, sur certains moments forts de sa carrière et sur son éventuelle arrivée au LS, avec une humilité étonnante dans un monde du football d’élite qui peut parfois en manquer.

Pourquoi il est à Lausanne depuis mercredi

La première raison, c’est l’intérêt montré par les dirigeants lausannois. Je sais que Marco Simone est très intéressé par ma venue et cela, ça ne se snobe pas. C’est rare, vous savez, que quelqu’un montre de l’intérêt pour vous et il faut se montrer reconnaissant par rapport à cela. Moi, je ne regarde pas la division, le prestige. J’ai déjà entendu des remarques bizarres depuis que je suis là, me demandant pourquoi je dois être testé en D2 suisse. Mais je vais vous dire, je trouve cela normal, pour être sincère. Avec un joueur de 30 ans, qui se retrouve libre, il y a des questions. Un jeune de 20 ans, vous savez qu’il a faim, vous signez les yeux fermés. Un joueur dans mon cas, je connais assez le monde du football… Les gens veulent voir. Je respecte cela. Ils veulent me voir? Voilà, je suis là. Je donne le maximum avec le LS et je me vois tout à fait signer ici. Vous savez, je ne cherche pas la surenchère. J’ai des touches avec deux clubs de L1 et je pense que le transfert pourrait se faire assez vite. On ne va pas se mentir: pour le prestige, pour ma carrière, ce serait mieux de signer en L1 française qu’en L2 suisse. Mais je ne fonctionne pas vraiment comme ça. Ce que j’ai gagné, je le sais. Les titres que j’ai, je les connais. Ma carrière est ce qu’elle est, je n’ai pas besoin de me prouver ce que je sais faire, mais je marche à l’affectif. C’est une erreur dans le monde du football aujourd’hui, mais je suis vraiment quelqu’un pour qui c’est un facteur important. Si un entraîneur me veut vraiment, que ses dirigeants sont convaincus, c’est plus important pour moi que le salaire ou la division dans laquelle le club joue.

Son état d’esprit

Je suis convaincu d’une chose et mes multiples expériences me l’ont appris: un joueur ne fait pas la différence tout seul. Bien sûr que je peux apporter sur le terrain, mais les plus belles victoires se font avec l’état d’esprit. Je vais vous donner un seul exemple, mais il est de taille: la Champions League 2005 et cette finale incroyable contre Milan. Avec Liverpool, on n’avait pas la meilleure équipe d’Europe, et de loin! Il y avait Steven Gerrard, évidemment, une référence absolue, et Luis Garcia, qui était vraiment chaud. Mais sinon? Xabi Alonso était un bon joueur, mais pas celui qu’il est aujourd’hui. Sinon, on était vraiment une équipe de joueurs ordinaires. Regardez la composition de l’équipe, titulaires et remplaçants, et vous verrez ce que je veux dire. On parle de cette finale, mais on y était arrivés, déjà! C’est là que j’ai compris, à 21 ans, que l’esprit d’équipe était plus important que tout. Si je viens à Lausanne, c’est aussi cela que j’ai envie d’amener, cette mentalité, cette volonté de travailler ensemble.

Ses plus belles émotions

Je pourrais vous citer le titre de Champion du monde M17 avec la France, mais j’étais un peu jeune. La Champions League, c’est indépassable, mais je dirais que sur un plan personnel, le maintien avec Huelva est peut-être le moment le plus fort. Je venais de partir de Liverpool, j’étais encore très jeune, j’avais une faim de lion. J’arrive à Huelva, je voulais tout casser, vous ne vous rendez même pas compte de la motivation que j’avais. J’arrive et on me dit que le Recreativo est le doyen des clubs espagnols, mais qu’il ne s’est jamais maintenu en première division. Ils étaient déjà montés, mais jamais ils ne sont restés! Vous vous rendez compte? Moi, on me dit ça, je réponds: « Ah ouais? Vous allez voir si on ne va pas se maintenir! » J’étais chaud (rires). Et au début, le coach me laisse sur le banc. Bon… Je rentre, je marque, retour sur le banc. Une fois, deux fois, trois fois… Je ne commence pas un match, mais je marque à chaque fois et je reste remplaçant. Je me dis « Il se fout de moi ou quoi? ». Et un jour, il me dit qu’il fait ça pour me protéger et c’était crédible. J’ai compris. Il voualit que je me fasse un nom ici, sans pression, parce que les journaux ne m’auraient pas raté si j’avais commencé par trois titularisations et aucun but. Il avait vu tout juste. Je rentrais, je tournais les matches dans le bon sens. Et quand j’ai été bien en confiance, il m’a fait débuter. C’était la mi-novembre, déjà. Et là, j’ai enchaîné les pions. Douze la première saison, douze la deuxième. Une belle période personnelle et on a obtenu ce fameux maintien, pour la première fois de l’histoire du club. Encore aujourd’hui, c’est un des passages de ma carrière dont je suis le plus fier. Vous savez, on en revient à ce dont on parlait tout au début, la différence entre ceux qui ont réussi une carrière et ceux qui sont passés à côté. Quand je parle avec mes anciens camarades du centre de formation, ils ne sont pas jaloux vis à vis de moi par rapport à l’argent ou à la gloire, mais par rapport aux émotions. Je reconnais et je sais que je suis chanceux: gagner des titres, les joies dans le vestiaire, ce sont des moments gravés à vie. Je ne les échangerais pour rien au monde. Un stade plein qui hurle quand tu marques…

Avec les plus grands à l’Atletico Madrid

Après ces deux saisons à Huelva, je me suis engagé avec l’Atletico Madrid. J’arrive en pleine confiance, ils me veulent, ils me font confiance. Forcément, après 12 buts par année… Vous savez comment c’est, un attaquant qui marque, il continue à marquer. Mes concurrents en attaque cette année-là, ce sont Diego Forlan et « Kun » Aguero. Du lourd, hein! On joue Schalke en barrages de la Champions League, et là, Forlan se blesse. Absent un mois, un mois et demi. Là, je me dis, c’est ma chance. Contre Schalke, je joue bien, mais je ne marque pas. Et après, j’enchaîne! En cinq matches, je plante quatre fois. Là, je me dis, c’est bon, je suis installé. A côté de Kun, bien (rires). Forlan revient et là, l’entraîneur me dit: « Tu comprends, Flo, c’est son retour. Il joue aujourd’hui et tu débutes le prochain match, sûr. » Quand un entraîneur vous dit ça, ce n’est jamais bon. Et ça n’a pas manqué (rires). Forlan met un triplé pour son retour, il ne sort plus de l’équipe et il finit Soulien d’or européen avec plus de 30 buts. Moi, je me retrouve sur le côté droit, un poste qui n’est pas le mien, en tout cas à haut niveau. Je n’ai pas la caisse pour faire les allers et retours. Au final, ça reste un bon souvenir, j’ai joué avec de très grands attaquants.

Le Sporting, un mauvais souvenir

J’avais une certaine cote, à l’époque, et le Sporting Portugal m’a bien acheté, on va dire. Mais là-bas, rien n’est allé et je n’ai pas vraiment envie de m’étendre sur le sujet. Je suis allé en prêt à Saragosse et Saint-Etienne. J’ai marqué un peu, mais ce ne sont pas des souvenirs inoubliables.

La Russie, une belle expérience gâchée par une grave blessure

J’ai signé pour deux ans à Rostov. Franchement, j’étais bien, j’ai bien aimé. Une belle expérience, vraiment. Mais le problème, c’est que je me suis blessé gravement. Je me suis fait les ligaments à un très mauvais moment, au début de la saison. C’était vraiment galère. J’arrive en septembre 2012, avant la trêve. Je marque, tout va bien, et en mars, les ligaments. Je mets six mois pour revenir, donc novembre et là, c’est la trêve. Ensuite, le championnat recommence en mars et c’est déjà le moment de discuter du futur contrat. Ils ne m’ont pas prolongé, mais je les comprends, les Russes, sincèrement. J’ai signé deux ans et j’ai joué six mois, avec un gros salaire. Ils ont fait le choix que tout le monde aurait fait, mais j’ai des regrets. Je n’ai pas pu montrer ce que je savais faire là-bas, même si j’ai quand même gagné la Coupe de Russie. Ensuite, j’ai fait une pige de quelques mois aux Etats-Unis et je suis désormais libre.

Une visite à Chypre

Je me suis rendu à Chypre l’été dernier, j’avais une proposition de l’AEL Limassol. Bon, eux, ils n’ont pas eu de chance. En qualifications de la Champions League, ils tirent le Zenit Saint-Pétersbourg et en qualifications de l’Europa League, ils prennent Tottenham. Ca devient tout de suite plus compliqué (rires). J’aurais pu m’engager là-bas avec des conditions qu’on va qualifier d’intéressantes, mais comme je vous l’ai dit, je marche à l’affectif. Là-bas, le coach m’avait à peine dit bonjour qu’il me demande si mon genou va tenir. Ensuite, pendant une semaine, il ne me parle pas. Après une semaine, alors qu’ils voulaient que je signe, je leur ai dit que cela ne m’intéressait pas. On en revient à ce que je vous ai dit au début. Je préfère venir dans un endroit où je suis désiré que dans un autre, plus prestigieux et plus intéressant financièrement, où je ne me sentirais pas à l’aise.

Son caractère de battant

J’ai toujours eu cela en moi. Et je peux vous dire exactement d’où cela vient. J’avais 11 ans quand je jouais au football pour le plaisir à La Réunion. A cet âge-là, le foot, c’est les copains, rien d’autre. Et j’apprends que Le Havre et Nantes m’ont repéré et veulent que je vienne en Métropole. A 11 ans! Vous imaginez le choc? Quitter ses parents, tout le monde. J’ai choisi Le Havre et je suis arrivé au centre de formation. Si je vous dis que c’était facile, je suis un menteur. Le pire, c’était le week-end. Tous mes copains, dont Wilfrid, partaient dans leur famille, à Paris ou ailleurs. Ils revenaient avec des cadeaux, de l’affection, des sourires. Et moi, forcément, j’étais seul. Le week-end, je restais au centre. Ca forge le caractère, je vous assure. J’ai toujours su ce que je voulais et Wil a raison quand il dit que j’étais déterminé depuis le début. J’étais un fou de football et je le suis toujours. Pas dans le sens où je vais regarder mille matches à la télévision, mais j’ai la passion du jeu, de jouer, de développer mes compétences. Dans ma tête, c’était clair. C’est pour ça que je n’ai pas hésité à partir très jeune ensuite à Liverpool. Quand j’y pense, aujourd’hui, j’ai déjà 14 ans de carrière, alors que je n’ai que 30 ans. Lorsque j’étais à Chicago, il y a quelques mois, un joueur a pris sa retraite à 33 ans. Il m’a dit qu’il avait 12 ou 13 ans de carrière, qu’il en avait assez fait. A ce moment-là, je me suis rendu compte que j’avais trois ans de moins que lui, mais des années de jeu en plus. Ca fait bizarre (rires).

 

2015 à Lausanne...
2015 à Lausanne…
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Fin des années 90 au Havre (Florent Sinama-Pongolle est en haut à gauche, Wilfrid Loizeau devant lui).

 

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