«Le foot t’apprend des choses qui vont te servir toute la vie»

« Aujourd’hui, tout le monde m’appelle Bili, même mon père! » Admir Bilibani est avant tout un homme très sympathique, avec beaucoup d’humour et de modestie. Comme tous les grands, il parle de son parcours sans en rajouter, sans se prendre pour quelqu’un qu’il n’est pas. Pour nous, il revient sur les différentes étapes de sa vie, de ses débuts à 8 ans à Lausanne en passant par sa très courte expérience dans le staff du Neuchâtel Xamax de Bulat Chagaev comme responsable du marketing.

 

Entretien avec un homme à qui le monde professionnel manque et qui se verrait bien y retourner très vite comme entraîneur, même s’il n’a pas officiellement mis un terme à sa carrière de footballeur amateur. Qui a pu oublier ce latéral au pied gauche si précis dans le monde du football suisse? Pas grand-monde. « Bili », ce n’est cependant pas qu’un joueur de foot, mais avant tout un homme avec des valeurs, qui a souvent changé de club, mais qui peut retourner partout et y sera bien accueilli.

 

Admir Bilibani, êtes-vous encore un joueur de football, à 34 ans?

 

J’aimerais bien! Je voulais jouer ce 2e tour avec Dardania Lausanne, en 2e inter, mais j’avais déjà été transféré dans deux clubs, donc je n’ai pas pu être qualifié. Au début de la saison, après mon départ d’Orbe, j’avais posé mon passeport à Yverdon Sport, puis aux seniors de Malley. C’est comme ça, ce sont les règles. Mais j’entraîne, vous savez!

 

Oui, on sait, les M14 du Team Vaud, à Yverdon! D’ailleurs, ça nous a toujours étonné que vous ayez fait ce choix.

 

Pourquoi?

 

Parce qu’on vous voyait plutôt comme un compétiteur, quelqu’un qui cherche la victoire à tout prix. Ce qui n’est pas forcément le cas dans la formation, même d’élite.

 

C’est vrai, cet aspect-là fait partie de ma personnalité de joueur de football. C’est ce qui m’a permis de faire carrière, d’ailleurs. Mais j’ai énormément de plaisir à entraîner ces jeunes. Et je vais vous dire, j’ai l’impression que le message passe. Et ce n’est pas vrai de dire qu’on ne veut pas gagner des matches!

 

Ce n’est pas exactement ce qu’on a dit…

 

L’important, c’est de dire la vérité à ces jeunes. Je vais vous dire, je les entraîne comme si j’entraînais des pros. Que tu aies joué au foot ou non, ce n’est pas très important. Les gamins ne vont pas plus te respecter pour ça. A part si tu es Messi, on est d’accord. Mais Bilibani, tu vois ce que ça parle à un jeune de 14 ans aujourd’hui… L’important, c’est d’avoir un message juste. Là, tu auras le respect des petits. Un gamin, il sait très bien si tu lui dis la vérité ou pas. Et ce qui est bien, c’est que si tu leur dis quelque chose, ils s’en rappellent et ils l’appliquent.

 

Dire la vérité, c’est quoi, concrètement?

 

C’est lui dire s’il est bon ou pas. Celui qui a un peu de talent, tu le vois tout de suite. Mais il faut être un gagneur pour réussir. Je vous le dis comme je le pense: il y a un problème de mentalité chez les jeunes footballeurs ici. Ils ne viennent pas à l’entraînement pour travailler, ils viennent pour s’amuser. C’est bien de s’amuser, attention. Le football, c’est un jeu. Mais tu dois venir à l’entraînement pour travailler, si ton but est de devenir footballeur professionnel. J’essaie de leur transmettre la rage de réussir. Je leur dis: les gars, aujourd’hui, c’est Bâle ou GC en face, mais on peut gagner!

 

C’est ainsi que vous avez réussi, vous?

 

Oui. J’étais un bosseur. J’avais le goût du travail, de la discipline. Et j’ai appris ça: si tu fais les efforts, tu auras le respect des gens et tu pourras gravir les échelons du football.

 

C’est pour ça que vous étiez si bien à Aarau? Vous en parlez souvent comme d’un très bon souvenir…

 

Ah oui, j’ai beaucoup aimé mes deux ans là-bas. En fait, ils sont venus me chercher à Yverdon Sport, pour remplacer Arnaud Bühler, qui était parti à Sochaux. J’en ai profité pour apprendre la langue, c’était super. C’est une mentalité qui me convenait bien. J’ai toujours aimé la Bundesliga, et Aarau, dans la ferveur, se rapproche de ça. J’y retourne souvent, j’y ai encore beaucoup d’amis. Vous savez ce que j’aimais là-bas?

 

On vous écoute…

 

Les gens ne vous jugent pas avant de vous connaître. Ici, avant que vous arriviez dans un club, tout le monde a une théorie à faire. Il est comme ci, il est comme ça… C’est le contraire en Suisse alémanique. Je me suis éclaté là-bas. Mais attention, j’aime beaucoup la Romandie aussi (rires).

 

Après votre expérience à Chypre, vous êtes d’ailleurs revenu dans le canton de Vaud, et vous y êtes resté.

 

Oui, après Aarau, j’avais 27 ans, j’étais en pleine forme. Je suis revenu en Suisse romande, mais avant cela, j’avais eu de sérieuses touches en Serie B, en Italie, mais cela ne s’est pas fait au dernier moment. Je suis donc parti à Chypre, mais je suis mal tombé.

 

Expliquez-nous ça!

 

En fait, j’étais en contact avec l’Anorthosis Famagouste, qui est un très grand club là-bas. Mais je me suis retrouvé à Nea Salamina, un autre club de Famagouste, un peu moins sérieux, on va dire. Mais la ferveur, là-bas, je peux vous dire que c’est quelque chose! Il y a 4 ou 5 journaux qui ne parlent que de foot, l’île est vraiment passionnée. Et le championnat avait un bon niveau, ce que l’on est en train de découvrir aujourd’hui, avec leurs résultats en Champions League. Le championnat, à l’époque, était un peu plus fort que la Suisse, en tout cas techniquement. Il y avait d’excellents joueurs, des gars ayant fait une grosse carrière. Mais il y avait un manque flagrant d’organisation et de discipline. J’ai décidé de rentrer en Suisse.

 

Et après un très court passage à Baulmes, vous revenez au club de vos débuts, le Lausanne-Sport, où vous finissez votre carrière de joueur pro.

 

Oui, je suis revenu à La Pontaise. C’est vrai, j’ai commencé le foot au LS. J’arrivais d’ex-Yougoslavie, c’était en 1988. J’avais 8 ou 9 ans, c’était avant la guerre. C’est pour cela que je dis que je viens d’ex-Yougoslavie, parce que j’ai vécu dans ce pays. Mais je suis un Bosniaque d’origine kosovare. En fait, on est venus rejoindre mon père, qui était déjà établi en Suisse et travaillait comme main d’oeuvre. Et oui, le foot est arrivé tout de suite, c’était un excellent moyen d’intégration pour moi, dans ce nouveau pays que je découvrais. C’était formidable ce Lausanne-Sport… La première chose qui me vient à l’esprit? Je me rappelle d’un très grand monsieur.

 

Qui?

 

Charly Serex, notre père à tous. Son nom ne vous dit peut-être rien, à vous. Mais si vous parlez à n’importe quel joueur du LS, il vous dira tout le bien qu’il pense de cet homme. Dans mon équipe, il y avait Vagner Gomes, qui est toujours un grand ami, Sébastien Meoli, Samuel Guignard… On avait une belle génération. On était en juniors E Talents. Et j’ai gravi tous les échelons, jusqu’à la première.

 

Et ensuite?

 

Le Stade Nyonnais, en LNB, puis le grand saut avec Alain Geiger à Xamax. J’avais 19 ou 20 ans, je m’en rappelle très bien. J’avais marqué un doublé contre une équipe finlandaise en Coupe Intertoto. Mais Xamax ne m’a pas gardé, et je suis parti à Vevey, en 1re ligue.

 

Un coup d’arrêt, non?

 

Non, ça m’a fait du bien. Redescendre, ça permet de se remettre en question, de prendre du recul. Et de revenir plus fort.

 

Ou de ne pas revenir du tout…

 

Ca dépend de votre caractère, ça. Moi, je peux dire que descendre d’un cran m’a aidé à aller plus haut après.

 

Après, ça a été plutôt vite, c’est vrai!

 

Oui, je suis allé à Carouge, puis retour au LS. Le club a fait faillite, c’était un passage compliqué. Je suis parti à Yverdon Sport, où j’ai fait deux belles saisons, avec la montée en LNA, avec Radu Nunweiler comme entraîneur. Un immense souvenir.

 

A ce sujet, quel entraîneur vous a le plus marqué dans votre carrière?

 

Radu, j’ai beaucoup aimé. Et Admir Smajic, que je dois citer, bien sûr. Tactiquement et techniquement, il est au top. Quand il arrête l’entraînement pour te corriger, et qu’il te montre exactement comment faire pour t’améliorer, tu es obligé d’être admiratif. Il peut stopper un match et t’expliquer comment orienter ton corps avant de recevoir une passe, pour te mettre immédiatement en position de réaliser une transversale. Dans un premier temps, tu te dis que c’est exagéré, mais quand il te montre exactement ce qu’il vient de te dire, et que, sans lever la tête, il envoie une transversale de 50 mètres dans la course de l’ailier, tu te dis que c’est quand même fort! Après bon, il y a son caractère (rire)!

 

 

En parlant de caractère, peu de monde s’en rappelle, mais vous étiez le responsable marketing du club à l’époque de Bulat Chagaev! Vous aviez pris la suite d’Alexandre Rey, non?

 

Oui, enfin, j’étais arrivé comme assistant en marketing. Mais très vite, il n’y a plus eu de responsable… Enfin, il n’y avait plus personne, partout. Tout a déjà été dit dans les journaux, mais c’était vraiment bizarre là-bas (rires). En fait, j’étais arrivé par Andreï Rudakov, quelqu’un de très bien, que je connaissais du monde du football. Andreï connaissait la Suisse, il a joué à Fribourg, Bulle… Il connaît la mentalité, il savait comment faire. Mais le président… Comment dire? Un jour, il arrive et me dit: « On ne joue plus en Umbro. Je veux Adidas pour le prochain match. » Comme ça, sur un coup de tête. Tu peux essayer de lui expliquer qu’il y a des contrats, que ça ne va pas comme ça, que ce n’est pas logique… En fait, tu pouvais dire tout ce que tu voulais. Sauf qu’à la fin, il te dit: « Je veux Adidas, c’est tout. » Même chose avec les BMW du club. Tout d’un coup, il fallait des Mercedes. Bref… Son erreur, c’est qu’il a voulu tout changer. Il fallait garder les gens, respecter l’identité du club. Sérieusement, c’était n’importe quoi.

 

Mais il avait de l’argent ou pas? Vous qui l’avez côtoyé, vous devez savoir s’il bluffait depuis le début…

 

Il était mal entouré, c’est tout ce que je sais. Et les salaires des joueurs au début, c’était impressionnant, je vous assure. On parle de sommes qui n’existaient pas dans le football suisse. Les mecs venaient de première division espagnole pour jouer en Suisse! Et puis tout d’un coup, plus rien. Après, est-ce qu’il était riche ou pas, est-ce que sa situation a changé entretemps, je n’en sais rien. Ca se passait des kilomètres au dessus de ma tête. Tout ce que je sais, c’est que j’ai beaucoup appris. Les relations avec la presse, les sponsors, tout ce qu’il fallait faire pour la Ligue. C’était un gros boulot, mais les conditions de travail n’étaient pas optimales (rires). J’ai fait 4 mois là-bas.

 

Et après, direction le FC Orbe, où vous avez officié deux ans comme entraîneur-joueur.

 

Oui, le président du FC Orbe de l’époque, Adrian Zesiger, m’a donné ma chance dans sa société, et je l’en remercie encore aujourd’hui. Il n’a pas aimé comme je suis parti, mais la chance de rentrer dans une structure comme Team Vaud était intéressante. Voilà, bon, c’est la vie. Mais moi, je peux dire du bien de lui aujourd’hui. J’ai bien aimé mon expérience à Orbe, mais il était normal que je parte. J’ai cette envie de retrouver le monde du football professionnel, et je crois que tout le monde peut le comprendre.

 

Vous voulez gravir les échelons à Team Vaud? C’est ça votre plan de carrière aujourd’hui? Arriver aux M21 dans quelques années, et revenir dans le football professionnel par cette voie-là?

 

Je n’en sais rien. Ce qui est sûr, c’est que j’ai envie de revenir dans le monde professionnel. J’aime cette vie, je suis un passionné. Aujourd’hui, je travaille le matin au garage avec mon frère, et l’après-midi avec Jacky Pittet, qui sait ce qu’est la passion du football. Il me permet de partir à 16h30 pour préparer les entraînements, et je l’en remercie. C’est quelqu’un de très bien, qui a été injustement critiqué. Mon envie, c’est de travailler à court terme à 50% et de trouver, dans un deuxième temps, un poste qui me permette de vivre du football.

 

A Team Vaud ou ailleurs?

 

Tout est ouvert. Mon engagement arrive à échéance cet été. J’ai beaucoup de plaisir à entraîner ces jeunes, et j’aime le monde des actifs aussi. J’ai été content d’entraîner en 2e ligue, j’aime la formation, mais je n’ai aucune raison de cacher que mon envie est de retourner en haut. J’ai des contacts, on verra bien. Le football, c’est comme la vie, c’est une question d’opportunités.

 

Et de personnalité, aussi. Tout ne vient pas par hasard!

 

Vous savez, on parlait d’Aarau avant. Mais si j’ai eu la chance d’aller là-bas, c’est parce qu’on a eu des bons résultats en équipe avec Yverdon Sport. Si j’avais été bon chez le 9e du championnat de LNB, un club de LNA ne m’aurait jamais pris. De toute façon, je vais vous dire: on gagne un match avec des talents, on gagne un championnat avec une équipe.

 

Ils comprennent ça, vos M14?

 

Oui, je crois. Ils doivent acquérir cette mentalité du foot, comme on l’a dit au début. Parce que réussir dans le foot te permet de réussir dans la vie. Si tu es bien discipliné, bien organisé, ça t’aide partout. Le foot t’apprend des choses qui vont t servir toute la vie. En tout cas, moi, ça m’a aidé.

 

On termine avec une question liée à l’actualité: l’équipe nationale du Kosovo, qui vient de jouer son premier match officiel, c’est une bonne nouvelle?

 

Oui, c’est une bonne chose. Cela fait pas mal d’années qu’ils travaillent dans ce sens, et je connais deux ou trois personnes qui y travaillent. Il y a beaucoup de Kosovars à l’étranger, en France, en Suède…Fadil Vokkri, le président de la Fédération, habite en France, d’ailleurs. C’est un moyen de se retrouver et de construire le pays. Il faut les encourager.

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