Jeremy Jaquier est un joueur au pédigrée atypique dans le monde de la 2ème ligue vaudoise. Disposant d’une quinzaine de sélections internationales avec les équipes suisses M15 à M19, formé au Lausanne-Sport, et même passé par le championnat universitaire américain, le Vaudois de 26 ans se confie sur son parcours, ses choix, et ses expériences. Passé au plus près du professionnalisme, c’est finalement au FC Venoge que Jeremy a trouvé stabilité et épanouissement dans le football.
Présente-toi rapidement, ainsi que ton style de jeu pour les lecteurs de Footvaud
Je m’appelle Jeremy Jaquier, j’ai 26 ans. Je suis entré dans l’élite du football à l’âge de 12 ans, et j’ai fait toutes mes classes au Lausanne-Sport. Depuis tout jeune, je suis catégorisé comme un joueur très petit et technique, avec un centre de gravité très bas et une très bonne vision du jeu. Ce manque de « physique » m’a obligé à développer d’autres armes, comme l’anticipation dans la prise d’informations pour éviter les contacts. J’ai toujours fait marquer les autres plutôt que de marquer moi-même, ce qui est peut-être aussi un petit défaut que j’essaie d’améliorer.
Tu as plusieurs sélections internationales avec la Suisse en équipes de jeunes. Raconte-nous plus précisément ces expériences. Qu’est-ce qu’elles t’ont apporté en tant que joueur, mais aussi en tant que personne ?
Ce sont de très bons souvenirs. Mes premières sélections en M15, j’avais 14 ans et étais encore à l’école, en sport-études. Quand tu es sélectionné, c’est le Graal, parce qu’on est environ 18 en Suisse à avoir cette chance, dont environ six romands. Donc être dedans, c’était quelque chose d’exceptionnel et une grande fierté. Souvent, on partait pour une semaine jouer des matchs à l’étranger. J’ai voyagé dans des pays qui m’étaient inconnus, comme la Slovaquie, la Suède, la Hongrie, l’Ukraine. Je me rappelle qu’à Kiev, on se faisait escorter par la police pour traverser la ville. À cet âge-là, on se projette déjà dans le monde professionnel, alors qu’on n’y est pas du tout. Ces expériences sont très enrichissantes, car elles permettent de jouer avec et contre les meilleurs joueurs de ton âge. Le niveau grimpe immédiatement. Il y a aussi un encadrement du staff de l’ASF qui est exceptionnel. Au niveau footballistique, tu engranges de l’expérience que les autres joueurs non sélectionnés n’ont pas.
Lorsque tu continues à être sélectionné jusque dans les catégories M18, ou M19, est-ce que tu commences à te dire que le professionnalisme s’ouvre à toi ? Quelles étaient tes ambitions ?
Je me disais qu’à 18 ans, c’était le moment où il fallait tout casser, car plus tard cela devient plus compliqué. J’avais conscience d’être aux portes du monde professionnel. Toutefois, en équipe de Suisse, les entraineurs nous font bien comprendre que seuls trois ou quatre joueurs de la sélection vont accéder au monde professionnel. Quand tu es jeune et confiant, tu crois forcément en ta réussite automatique, alors que c’est complètement faux. Avec le recul, en voyant ceux de la sélection qui ont fait de très bonnes carrières au plus haut niveau, j’en compte quatre ou cinq. A cet âge-là, tu n’en as pas forcément conscience, ni surtout du travail et des sacrifices à fournir pour y arriver.
As-tu des exemples de joueurs avec qui tu as joué pendant cette période qui ont percé aujourd’hui ?
Dans ma volée en sélection, je dirais Djibril Sow, Breel Embolo, Albian Ajeti, ou encore Gregor Kobel. Breel Embolo en particulier était au-dessus de tout le monde. Il pouvait jouer à tous les postes, il était juste incroyable. Ensuite, Dimitri Oberlin, dans son style de jeu, c’était un extraterrestre capable de sortir des gestes que tu n’avais jamais vu.
En plus de ces sélections, tu as été formé au LS, sans toutefois goûter à un match officiel avec la première équipe. Quelles sont tes expériences marquantes avec le LS ?
Ce qui m’a marqué dans la formation à Lausanne, c’est qu’on a toujours été très bien encadré, que ce soit au niveau des études ou du foot. Ensuite, je garde des souvenirs de tous les entraineurs que j’ai eu : Jean-Yves Aymon, Alexandre Comisetti, Ilija Borenović. Tous ces gens ont été tellement investis pour leur équipe et leurs joueurs. Ils nous ont donné toutes les clés pour y arriver.
Qu’est-ce qui t’a manqué pour passer l’échelon au niveau pro ?
La régularité et l’implication. À 16-17 ans, tu dois faire le choix entre profiter de ta jeunesse ou être à fond dans le foot pour vraiment y arriver. Lors de mon arrivée dans la première équipe, Fabio Celestini m’a proposé de rester pour toute la présaison, mais j’avais des vacances prévues avec des amis. À cet âge-là, c’était impensable pour moi de les annuler. Je pense que cet événement est en partie le tournant de ma carrière. Je n’ai pas su mettre les priorités où il fallait. J’étais naïf et pensais pouvoir tout avoir en même temps. J’ai fait les mauvais choix. Je n’ai également pas su être performant dans les moments clés. Avec le recul, j’ai forcément des regrets. Mais avec ma mentalité de l’époque, je n’aurais pas su faire autrement.
En été 2018, tu pars aux États-Unis, dans une équipe universitaire. Pourquoi ce choix ?
J’ai eu des contacts avec des agences pour partir aux États-Unis, qui m’ont mis en relation avec des universités. Ces agences se basent sur ton historique footballistique pour te promouvoir et essayer de te garantir une bourse dans une D1 (ndlr : il y a trois divisions dans la NCAA, le championnat universitaire américain, de la D1 à la D3). En plus de pouvoir apprendre une nouvelle langue, j’avais envie de sortir de ma zone de confort, me déconnecter et tenter ma chance. La fin de mon aventure à Lausanne s’est aussi précipitée à cause d’une grave blessure au genou à un moment crucial. Je voulais donc essayer de me relancer ailleurs, dans un championnat de qualité, tout en continuant mon cursus académique en sport. J’ai d’abord joué dans une équipe moyenne de D1, mais qui m’offrait une bourse complète, pour faire mes preuves. Après une année, je suis parti dans la 12ème meilleure équipe du pays, dans une bien plus grosse université.
Quel niveau cela représente-t-il par rapport à chez nous ?
C’est difficile à dire. Dans le monde des actifs, il y a des joueurs de tout âge. C’est très dur de comparer. Là-bas, on a tous entre 18 et 24 ans, donc on pourrait comparer cela à un tournoi élite de jeunes, mais c’est difficile d’identifier une ligue. Il y a majoritairement de jeunes joueurs sortants de centres de formation européens. C’était quand même un sacré niveau.
Après 2 ans là-bas, tu reviens en Suisse, au FC Venoge, en 3ème ligue.
Après ces deux ans aux États-Unis, le Covid est arrivé et je n’avais plus la possibilité de retourner là-bas. Le championnat a aussi été annulé. Je me suis dit qu’après ces deux ans, j’avais vu ce que j’avais à voir. Je perdais aussi la motivation au niveau du football, et à 21-22 ans les possibilités de passer professionnel s’amenuisaient. J’ai décidé de rester en Suisse et de me focaliser sur ma vie professionnelle et privée. Au niveau footballistique, j’ai simplement demandé à mon frère où il allait jouer. J’avais juste envie de reprendre du plaisir, retrouver l’ambiance d’un vestiaire entre potes, que j’avais perdue dans l’élite. J’ai mis de côté mon rêve de devenir professionnel. J’ai donc suivi mon frère au FC Venoge, en 3ème ligue. Ce qui est beau c’est que toute ma famille est au club : ma cousine, son mari qui est mon coach (ndlr : Elio Da Mota), mon tonton, mon frère. C’était un superbe confort, où je pouvais m’épanouir.
En décidant de venir à Venoge, alors que tu n’avais pas connu un niveau plus bas que la 1ère ligue, comment voyais-tu le football des talus ?
J’étais dans l’optique de prendre du plaisir, donc je n’avais aucun a priori. Je suis arrivé humble, sans vouloir être la star de l’équipe. J’avais du respect pour tout le monde. Je voulais juste m’amuser, recommencer à zéro, incognito. Je voulais être traité comme un joueur de 3ème ligue, tout simplement.
Après environ quatre ans et demi à Venoge et une promotion en 2ème ligue, comment te sens-tu dans ce monde ?
Quand j’étais dans l’élite, même si je n’ai pas fait tous les sacrifices qu’il fallait, j’en ai fait énormément, et mes parents aussi en ont fait beaucoup pour moi. En renonçant à une carrière professionnelle, j’avais envie de retrouver une vie normale, et la simplicité qui va avec. J’avais perdu cela depuis mes 12 ans. Cela m’a permis de revenir à des bases plus stables et saines.
Qu’est-ce que tu trouves dans le football à ce niveau que tu n’avais pas au plus haut niveau ?
Plus de liberté, de confort, et de stabilité. La 2ème ligue, c’est le niveau que je recherche. J’ai besoin d’avoir trois entrainements par semaine, mais en même temps j’ai la liberté de pouvoir m’absenter pour des raisons personnelles, sans ressentir la pression de mettre ma carrière en péril. Surtout, j’ai le confort d’être en famille. J’avais essayé de retourner en 1ère ligue pour retoucher à ce monde plus sérieux, mais je me suis rendu compte que j’étais dans une tout autre mentalité. Donc la 2ème ligue me convient à merveille.
Finalement, que signifie le football pour toi ?
Tout ! Le foot m’a permis de voir d’autres pays, m’a apporté une certaine éducation, un certain cadre dans ma jeunesse. J’ai pu vivre aux États-Unis tous frais payés, découvrir une nouvelle culture et apprendre une nouvelle langue, connaitre de nouvelles personnes avec d’autres mentalités, avoir une expérience sur un campus universitaire américain. Tout cela, c’est grâce au foot. Je suis reconnaissant envers le football et c’est pour cela que j’en fais tous les jours. C’est comme une drogue : quand ça t’a donné autant d’émotions, tu ne peux plus t’arrêter.
Rédacteur : Mathieu Grandchamp
Crédit photos : mediafab.ch, Fabrice De Gasperis