«Monter ou descendre, ce n’est pas un objectif, c’est un résultat»

Carlos Rangel est déjà un peu fatigué en ce début de saison. Le Colombien, a des projets d’architecture (son autre passion et son métier) plein la tête, mais est tous les soirs au Terrain du Pécos, à Grandson. Entraîneur de la I, et directeur technique des actifs, il est l’homme qui incarne le FCGT depuis des années. Amoureux du jeu sud-américain, il a été professionnel au Deportivo Cali, et international colombien M17, avant d’arriver en Suisse. Après avoir joué à Martigny, il a découvert le canton de Vaud du côté de Puidoux-Chexbres, avant d’entamer sa mission à Grandson.

En plus de s’occuper des « Jaune et Bleu », il a passé une année à Baulmes, où il a officié comme directeur technique, faisant notamment le lien entre les jeunes joueurs de la Fondation Marcet, venus de Barcelone, et le club de Fabian Salvi. L’expérience n’a pas survécu au départ du président baulméran au FC Sion, et Carlos Rangel s’occupe aujourd’hui exclusivement du FC Grandson-Tuileries. A cent à l’heure, et à 100%. Il a accepté pour nous de revenir sur l’interview de Christophe Ohrel (à lire ici), dans laquelle le directeur sportif du FC Forward-Morges livrait une vision claire de ce qu’était un club de 2e ligue. Le passage sur la rémunération des joueurs à ce niveau a interpellé Carlos Rangel, qui explique ici de quoi il en ressort au FCGT sur ce point précis.

Carlos Rangel, est-il possible de construire une belle équipe de 2e ligue sans rémunérer les joueurs?

Oui, bien sûr, mais c’est un travail de plusieurs années pour être compétitif. Il faut une quantité de joueurs suffisante, et celle-ci s’acquiert au fil des années. Je suis à Grandson depuis neuf ans, et cela fait sept ans que l’on travaille selon la philosophie à laquelle je crois. Et nous commençons à en recueillir les fruits.

Comment est composé votre effectif? Uniquement de joueurs formés à Grandson?

Il s’agit d’un bon mélange entre des juniors du club, et des joueurs partis dans des structures Team Vaud et qui reviennent chez nous après avoir été écartés. Ils veulent retrouver le plaisir de jouer au football, et on leur permet cela ici. Et chaque année, le groupe est de plus en plus solide.

Une preuve?

Nous sommes montés en 2e ligue il y a quatre ans. La première saison, nous avons terminé 8e, avec 33% de points. Ensuite, 7e, avec 36% de points. Et l’an dernier, nous avons fini 5e, avec 46% de points. Cette saison, on vise les 50%, vous l’avez compris. Le tout, sans rémunérer aucun joueur. Donc oui, c’est possible d’être compétitif, on le prouve, et nous ne sommes pas les seuls. Après, c’est notre philosophie. Nous, on fait comme cela, mais on ne dit pas que les autres ont tort ou raison. Chacun fait son repassage chez soi, et je ne vais pas vous dire comment faire le votre.

Vous dites que personne n’est rémunéré, mais vous pouvez compter cette année sur un vrai buteur, le Roumain Daniel Costescu. C’est clairement ce qu’il vous manquait les années précédentes. Et vous avez essayé d’attirer des buteurs venus de 2e ligue, mais ils vous demandaient de l’argent, c’est vrai?

C’est vrai, nous avons eu des contacts, mais les choses sont claires. Celui qui veut de l’argent, même pour les déplacements, il ne vient pas à Grandson. Pour Daniel, la situation est la suivante: on a fait le constat, comme vous, que nous manquions d’un buteur capable d’être décisif à ce niveau. Et comme en faire venir un semble impossible pour les raisons que vous avez comprises, il ne nous reste qu’une solution: le former. Moi, je suis un milieu de terrain, même si j’ai joué latéral en Colombie. Ma formation, elle est au milieu. Je peux expliquer, je crois, à un joueur comment faire une passe, ou comment se placer pour intercepter un ballon et relancer immédiatement vers l’avant. Mais entraîner un attaquant, ou un gardien, c’est autre chose. J’ai rencontré Daniel Costescu lors de mon bref passage à Baulmes, et on est restés en contact. Il a passé ses diplômes d’entraîneur à la Fondation Marcet, à Barcelone, que je connais bien, et il est venu chez nous.

Quel est son rôle au club?

Il entraîne les juniors A, et on va commencer des entraînements spécifiques pour les attaquants. Ce seront des ateliers auxquels participeront les juniors C, les B… Il a le geste juste devant le but, il peut leur montrer comment doit se déplacer un attaquant. Et en plus, il joue encore, donc l’identification sera plus forte. L’idée, c’est de faire progresser tout le monde, en créant une « école d’attaquants » au FC Grandson. Et à terme, on aimerait faire la même chose avec les gardiens. Nous sommes en contact avec un ancien international, qui a également joué à Baulmes. Et créer un atelier de défenseurs est également un objectif à court terme. Il y a de grands défenseurs en Suisse. Pourquoi ne pas faire venir un Andy Egli, par exemple? Il viendrait quatre fois par année, tous nos entraîneurs seraient là et écouteraient ses conseils. Il faut s’inspirer des meilleurs.

Si on comprend bien, Daniel Costescu est salarié du club?

Non, vous n’avez pas compris (sourire). Il travaille comme électricien, toute la journée, et il vient le soir au terrain. Nous lui avons trouvé ce travail.

Vous nous dites qu’aucun de vos joueurs n’est rémunéré. Mais ont-ils des cotisations à payer? Dans certains clubs de 2e ligue, la cotisation est offerte aux joueurs de la 1re équipe…

Chez nous, chacun paie 260 francs par année pour jouer au football. Pourquoi? Parce qu’on pense que c’est la meilleure manière. Mais de nouveau, on ne donne de leçon à personne. On fait comme ça ici, c’est tout. En fait, nous faisons partie de ce que j’appelle l’autre football.

Qu’est-ce que cela veut dire, l’autre football?

C’est celui où un joueur paie pour jouer. La différence, elle est là. Lorsque vous donnez de l’argent à un joueur, le rapport est différent. Il va réclamer son argent et c’est tout. Par contre, un joueur qui paie pour jouer doit être capable d’exiger qu’on l’aide à progresser.

On a du mal à vous suivre…

C’est très simple. Ici, ils paient pour jouer. Alors, j’estime que le FC Grandson-Tuileries doit être à la hauteur. Que ce soit moi, l’entraîneur de la II, celui de la III, et ceux des juniors. Un joueur doit être capable de dire: « J’ai besoin d’exercer cela pour ma progression. » Cela fait partie de mon boulot, d’avoir des joueurs responsables.

C’est un peu dangereux, non? C’est la porte ouverte à donner trop de pouvoir aux joueurs…

Non, il y a des limites, et je crois qu’elles sont assez claires pour tout le monde (sourire). Les choix, ce sont les entraîneurs qui les font, mais ils doivent être capables de les expliquer. C’est comme cela qu’on fait progresser tout le monde.

Mais dans le football, aujourd’hui, un joueur qui ne joue pas deux matches demande à partir… Comment le retenir chez vous, alors qu’il pourrait être rémunéré à quelques dizaines de kilomètres?

J’ai un exemple très récent. Samedi, face à La Sallaz, je n’ai pas fait jouer Stéphane Varela. Il avait été très bon à Prilly la semaine d’avant, mais il n’est pas entré en jeu pour ce match. Il est parti fâché directement après. Cela ne me dérange pas, vraiment. Mais je veux qu’il revienne discuter. Il l’a fait, je lui ai expliqué mon choix. Attention, je ne me justifie pas! Ce n’est pas la même chose d’expliquer ou de se justifier. Je lui ai expliqué pourquoi il n’a pas joué, par rapport au reste du groupe, à la concurrence. Pour moi, cette démarche est saine. Et Stéphane va jouer énormément de matches cette saison, je compte sur lui. Il est exigeant, c’est très bien. Je le suis aussi, et je veux que les entraîneurs du club le soient aussi.

Peu de joueurs quittent Grandson. Il y en a, bien sûr, mais moins qu’ailleurs. Comment l’expliquez-vous?

Parce qu’on est en train de mettre en place quelque chose qui tient la route, sur le long terme, avec une ambiance que je qualifierais de saine. Venez un soir au terrain, vous le constaterez. Il y a tous les jours quelqu’un. C’est quelque chose que j’ai demandé à mettre en place et j’en suis très content. Du lundi au dimanche, ce lieu vit. La buvette est ouverte, il y a de la musique, un tenancier sympa… Et on travaille chaque soir. Avant, les entraînements avaient lieu le mardi et le jeudi, pour la I et la II. Si un joueur n’était pas là le jeudi, il avait raté 50% des entraînements de la semaine! Et à ce niveau-là, le football ne doit pas être une priorité. Il y a le boulot, la famille… Alors, je demande à chacun d’être là deux fois par semaine, au minimum. Les A s’entraînent lundi, mercredi et vendredi. La I le mardi et le jeudi. Et la II, deux fois aussi. Mais si un joueur de la I veut venir le lundi, il vient, c’est tout. Et on a pas mal de joueurs, croyez-moi, qui font les cinq entraînements. Les jeunes venus de Team Vaud sont demandeurs de s’entraîner au quotidien. On le leur propose. Celui qui veut s’entraîner cinq fois, il peut le faire.

Lorsque vous voyez un jeune arriver en première équipe et être bon en 2e ligue, s’agit-il d’une fierté?

Oui et non. En fait, plutôt non. Il ne s’agit pas d’une fierté, mais cela prouve que notre travail porte ses fruits.

N’avez-vous pas peur, excusez-nous d’insister, de devenir un club formateur, et que vos bons jeunes partent en 1re ligue, par exemple?

Mais je vous rappelle juste que j’ai amené personnellement deux juniors A à Baulmes, alors en 1re ligue. S’il y a un projet sur le long terme, quelque chose de cohérent, ils peuvent y aller et j’en serai heureux. Mais pour l’instant, dans la région, ce n’est pas le cas. Et je vais vous dire: ils n’ont pas envie d’y aller.

Du long terme, à Baulmes?

J’y croyais. Et je n’étais pas le seul (sourire). Ca n’a pas joué, Fabian Salvi est parti, moi aussi. Bon, c’est une expérience.

On a l’impression que vous incarnez le projet du FC Grandson-Tuileries. Peut-il survivre à votre départ?

C’est normal que quelqu’un suive ce projet, sur le long terme. Après, bien sûr que je dois pouvoir m’en aller et que ce projet continue. C’est le but, personne n’est éternel. Mais cela demande un énorme boulot de mise en place.

Pourriez-vous transposer cette philosophie à plus haut niveau?

Dans l’absolu, oui, je pense. Mais le problème, c’est la pression des résultats. Ici, à Grandson, j’ai un président et un comité qui me mettent la pression, mais ce n’est pas celle des résultats. Les objectifs du club sont les suivants: que tous les joueurs du club progressent, qu’il y ait de la joie sur les terrains, que l’assistance aux entraînements soit bonne. Moi, ça ne m’intéresse pas que les juniors C gagnent tous leurs matches. Voilà.

Mais il faut quand même que tous ces efforts de formation débouchent sur des joueurs de qualité…

Oui, mais pas seulement pour la première équipe. C’est ça qu’il faut comprendre. En fin de cursus juniors, nous voulons des joueurs pour la I, pour la II, pour la III, mais aussi, peut-être, des jeunes qui n’ont plus envie de jouer, mais qui veulent s’investir au comité. Ou devenir arbitre, c’est important aussi. Nous voulons former des joueurs, mais travailler avec des hommes. Créer un esprit de club, c’est cela.

Combien avez-vous de juniors à Grandson?

Environ 260, répartis dans vingt équipes.

En conclusion de cet entretien, on peut résumer la situation ainsi: à Grandson, les joueurs paient pour jouer et le font avec le sourire, c’est juste?

Oui. Et cela sera toujours le cas, tant que je serai ici.

Quitte à ne jamais monter en 2e inter et à rester stagner en 2e ligue…

Et qui vous dit qu’on ne montera jamais en 2e inter? On progresse d’année en année. Et ça, c’est grâce à notre travail de formation. C’est le plus important, de très loin. Mais je vais vous dire, on confond tout chez nous, et je le constate souvent en lisant vos interviews…

C’est-à-dire?

Vous demandez souvent aux entraîneurs quels sont leurs objectifs pour la saison. Mais pour moi, il y n’a aucune réponse à apporter à une question comme celle-là…

Vous allez nous vexer, là !

Ce que je veux dire, c’est que monter ou descendre, ce n’est pas un objectif, c’est un résultat. Le résultat, c’est ce qui vient après nos actes. C’est drôle que ce soit moi, le Colombien, qui vous apprenne le français…

C’est bon, vous nous avez vexé.

Ne le prenez pas mal, mais pour moi, un objectif, c’est de former des joueurs, de progresser. C’est exactement ce dont je vous ai parlé avant. Monter ou descendre, ça vient tout seul, selon la façon dont on a travaillé. C’est pour cela que je pense que la personne la plus importante d’un club c’est l’entraîneur. C’est lui qui fait la différence. Une chose est sûre, et pouvez l’écrire, c’est que je préfère donner 3000 francs à un entraîneur qui me formera des joueurs de 2e inter, plutôt que de les donner à un joueur qui a le niveau de 2e inter. En fait, ce n’est même pas que je préfère, c’est simplement que je considère que c’est la seule manière d’y arriver sur le long terme, pour un club c

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